29 avril 2010

Novelli : “L’auto-entrepreneur permet de franchir la frontière entre salariat et prestation de services”

Hervé Novelli, secrétaire d’Etat au PME, a mis en place le statut d’auto-entrepreneur. Il m’a reçu, mercredi 27 avril, pour répondre aux questions que ce mois d’enquête a soulevées. Selon lui, ce statut est une manière de répondre aux défis de l’économie moderne. Il assure qu’il ne reviendra jamais sur sa création, tout en se montrant ouvert sur quelques modifications à la marge.

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Au cours de cette enquête, j’ai rencontré un certain nombre d’auto-entrepreneurs victimes de salariat déguisé. Depuis plusieurs mois, ils ont un seul commanditaire pour lequel ils travaillent à plein temps et ont parfois même un bureau ! Pourtant aucun organisme de contrôle ne les a contactés. L’Urssaf a-t-elle les moyens de contrôler les 440 000 auto-entrepreneurs ?

Il y a deux sortes d’abus. Tout d’abord, ceux dont sont victimes les auto-entrepreneurs. Aujourd’hui, j’ai les preuves de nombreuses arnaques. Les contrôleurs de la répression des fraudes (DGCCRF) sont en train de mener un certain nombre d’enquêtes et ont déjà transmis aux procureurs de données objectives sur ces arnaques.  Je serai intraitable pour ceux qui prennent pour cible les auto-entrepreneurs !

Ensuite, le statut peut aussi être dévoyé par des chefs d’entreprise qui trouveraient plus intéressant de se payer les services d’un auto-entrepreneur  plutôt que de recourir à un salarié. Ce problème du salariat déguisé est bien connu et n’a pas attendu le statut d’auto-entrepreneur, il existait déjà pour certains indépendants. Pour éviter des abus, les services de contrôle (URSSAF, inspection du travail) sont extrêmement vigilants et le seront plus encore à l’avenir : ils n’hésiteront pas à requalifier en contrats de travail des prestations de service d’auto-entrepreneur qui correspondraient en fait à une activité salariale.

L’Urssaf a-t-elle les moyens de contrôler ?

Les indépendants sont déjà deux millions à être sous le contrôle des Urssaf. On peut donc estimer que l’Urssaf a les moyens de les contrôler. Et sur le salariat déguisé, l’inspection du travail est aussi compétente.

Les auto-entrepreneurs sont soumis à une traçabilité très forte. Il s’inscrivent, ils ont un numéro Siret,  ils sont répertoriés aux impôts et à l’Urssaf. Cette traçabilité permet de mettre à jour des pratiques abusives. Enfin, pour lutter contre les abus, nous voulons améliorer l’accompagnement des auto-entrepreneurs. 2009 était l’année du lancement, 2010 est l’année de l’accompagnement.

Est-ce qu’il va y avoir des formations obligatoires à la création d’entreprise pour les auto-entrepreneurs ? Certains d’entre eux ne savent parfois même pas ce qu’est un chiffre d’affaires…

On va voir si cela restera optionnel ou sera rendu obligatoire, mais j’ai obtenu que près de cinq millions d’euros soient mobilisés pour pouvoir financer la formation des auto-entrepreneurs.  On veut aussi mettre en place un accompagnement pour ceux qui franchissent les plafonds et qui doivent changer de statut.

Vous faîtes face à un lobbying très fort des opposants au statut d’auto-entrepreneurs, artisans du bâtiment en tête. Ceux-ci arrivent à convaincre un certain nombre de parlementaires que les auto-entrepreneurs constituent une concurrence déloyale. Etes-vous sûr que le statut va résister à ce lobbying, d’autant plus que les artisans font partie de la base électorale de votre camp politique ?

Personne ne peut  en être sûr. Mais je rappelle que j’ai apporté aux artisans la protection du patrimoine à travers la création de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée. J’aimerais bien que certains représentants des artisans mettent autant d’énergie à défendre ce statut qu’à attaquer les auto-entrepreneurs. Leur attitude n’est pas très cohérente. De mon côté, je compte bien défendre le statut d’auto-entrepreneur comme je défends l’entreprise individuelle à responsabilité limitée.

Sur Internet, il est pourtant très facile de trouver des auto-entrepreneurs qui font de leur statut un argument de vente, assurant pouvoir pratiquer des prix plus bas…

Les comparaisons ont montré que la concurrence ne se joue pas sur les taxes et les charges sociales. L’avantage compétitif de l’auto-entrepreneur se fait sur la simplicité, comme l’absence d’obligation de tenu de comptes.  Je souhaite transcrire cette simplicité à l’ensemble des artisans individuels.

J’ai décidé avec François Baroin de la création d’un groupe de travail qui va se pencher sur ce dossier dans les mois qui viennent. Beaucoup d’artisans me disent : « Si on a les mêmes avantages, l’auto-entrepreneur, c’est pas grave ».  Je veux leur donner ces avantages.

Le statut d’auto-entrepreneur est célébré par certains libéraux qui y voient la fin du salariat. Qu’en pensez-vous ?

Dans une société moderne, le contrat de travail se trouve en concurrence avec le contrat de prestation. Les services se prêtent beaucoup moins à la forme contractuelle du travail que l’industrie. La réalisation du service est bien plus importante que le temps passé à le rendre.

Aujourd’hui, il y a beaucoup de zones dans lesquelles contrat de travail et contrat de prestation peuvent se chevaucher. Les tâches saisonnières, par exemple, s’appréhendent mal à partir du contrat de travail. L’auto-entrepreneur est une manière de franchir cette frontière, qui était déjà poreuse, et peut justement résoudre les problèmes liés à ce chevauchement. Aussi bien pour les auto-entrepreneurs que pour ceux qui y ont recours.

Mais ce statut ne constitue-t-il pas un appel d’air qui ne fera qu’agrandir cette zone floue ?

C’est possible. Mais la société dans laquelle nous vivons a besoin de souplesse et de réactivité. Les relations du travail ou le temps de travail sont moins intangibles.

Le salariat restera-t-il la norme ?

Je ne sais pas s’il le restera. Il l’est aujourd’hui.

Est-ce que vous souhaitez qu’il le reste ?

Je souhaite qu’il y ait une satisfaction qui soit donnée à ceux qui travaillent et à ceux qui emploient. Est-ce que le contrat de travail est la meilleure norme ? Aujourd’hui, la réponse n’est pas évidente. Certaines personnes se réalisent mieux dans un statut plus autonome. Ce débat émergera dans les années à venir.

Face à l’énorme succès de l’auto-entreprise, comptez-vous évaluer l’impact sur l’ensemble de l’économie de ce statut ?

Le bilan exhaustif sera fait à partir d’un comité de pilotage et d’un audit indépendant qui doit bientôt être réalisé. D’ici cet été, nous aurons les éléments qui nous permettront, si besoin, de modifier tel ou tel point.

L’enjeu est d’identifier les auto-entrepreneurs qui sont actifs et ceux qui ne le sont pas. Nous déciderons s’il faut rendre obligatoire la déclaration du chiffre d’affaires, même si celui-ci est nul. Et peut-être prévoirons nous de rendre obligatoire un changement de statut s’il reste nul un certain temps.

Si les évaluations qui sont menées actuellement sont négatives, arriverez-vous à revenir en arrière ? 440 000 personnes se sont déjà inscrites sous ce statut…

Je sais déjà que ce statut n’est pas une erreur. Si il y a quelques abus, il seront sanctionnés avec la plus grande fermeté et si le phénomène de salariat déguisé est important, des aménagements seront apportés. Mais je n’en crois rien. Je suis plus dans une fonction de croissance que de contrôle.. A mes yeux, la question essentielle est de savoir si le statut génère de l’activité et procure un pouvoir d’achat supplémentaire. Les évaluations permettront justement de voir si le statut est un véritable phénomène économique ou seulement un effet de mode.

Les caisses de sécurité sociale des indépendants se plaignent des auto-entrepreneurs. Selon elles, l’arrivée massive de nouveaux adhérents qui cotisent peu déséquilibrent leurs comptes. Quelles solutions allez-vous leur proposer ?

Les caisses ont tort quand elles disent que c’est à cause de l’auto-entrepreneur qu’elles sont dans le rouge. En effet, elles doivent s’acquitter d’une compensation démographique fixée pour chaque nouveau cotisant. Cette mesure entraîne un réflexe malthusien de certaines caisses qui se plaignent d’avoir de nouveaux cotisants ! Pour régler ce problème, nous réfléchissons à l’opportunité d’adapter les règles de compensations pour les auto-entrepreneurs.