De plus en plus de patrons de presse veulent facturer l'accès à leurs articles en ligne. Rupert Murdoch, PDG de News Corp, a déclaré qu'il rendrait le site du Times payant. En France, Libération et Le Monde ont récemment basculé dans leur édition "abonnés" une plus grande proportion du quotidien "papier" numérisé. .
Les raisons invoquées sont la crise en général et celle de la publicité en particulier : elle n'est pas suffisamment rentable. Pourquoi, à la fin des années 1990, ce modèle de la gratuité s'est-il pourtant imposé ? "La première raison était une forme d'idéologie liée à la culture de la gratuité sur Internet", estime Mohssen Toumi, du cabinet en stratégie Booz & Co.
Pour les premiers acteurs du Web, le réseau est un espace de liberté et de gratuité, dont, au début du moins, les marchands sont absents. Des géants comme Google se sont nourris de cette idéologie pour faire du business, "offrant" aux internautes tout un tas de services gratuits. "L'idéal de l'échange collaboratif désintéressé, qui a présidé aux origines du Net, a conservé toute sa vigueur et fourni un carburant au développement du réseau. Les industries des télécoms en ont largement tiré parti en faisant miroiter, à partir d'un simple abonnement d'accès, une myriade de plaisirs non payants", explique Monique Dagnaud, directrice de recherche au CNRS, dans un article sur le site de recherche Telos. Comme le rappelle M. Toumi, "les acteurs de l'époque avaient mis beaucoup d'espoir dans la publicité en ligne".
LE MIRAGE DE LA PUBLICITÉ
"C'était la logique : faire un maximum d'audience avec du contenu gratuit et de la publicité. On nageait en plein fantasme. Certains, pensant que la publicité pourrait tout financer, sont allés jusqu'à proposer des accès à Internet gratuit", raconte Fabrice Sergent, directeur général de Cellfish, une agence de services mobiles. "Et puis, il y a une sorte de pensée magique qui accompagne les nouvelles chaînes ou radios commerciales, j'ai pu l'observer lorsque je siégeais au CSA : les gens sont persuadés que la publicité sera au rendez-vous", ajoute Mme Dagnaud.
"Il faut dire aussi qu'au début, en 2000, le site lesechos.fr a engrangé 40 millions de francs rien qu'en publicité (les articles issus du journal papier étaient pourtant payants). C'était une somme considérable, davantage que le chiffre d'affaires du magazine Enjeux Les Echos. Nous étions en pleine bulle : toutes les start-up ayant levé de l'argent avaient un budget publicité qu'elles dépensaient en ligne", témoigne Philippe Jannet, PDG du Monde Interactif, à l'époque à la tête des éditions électroniques des Echos. Puis, il y a eu l'éclatement de la bulle Internet, et les budgets publicitaires ont été coupés. "En 2001, nous étions retombés à 12 millions de francs de recettes publicitaires", note M. Jannet.
Aujourd'hui, rares sont ceux qui pensent encore que, crise ou pas, la publicité suffira à tout financer. Certes, les parts allouées aux campagnes en ligne ont augmenté dans les budgets publicitaires, mais les modèles économiques gratuits se sont multipliés en bien plus grande proportion.