Merci Pierre-Jean Llorens pour cet article d'actualité malheureusement :
En France, 3,5 millions de personnes ont recours à laide alimentaire, ces produits de première nécessité distribués par les organisations
caritatives. Financée grâce au budget européen, cette aide est aujourdhui remise en cause. Les efforts déployés depuis plusieurs années pour améliorer la qualité de ces aliments, et ne pas enfermer les plus précaires dans la malbouffe, seront-ils réduits à néant ?

120 millions de personnes menacent, en Europe, de sombrer dans la pauvreté. Les gouvernements européens, qui discutent en ce moment du budget 2014-2020, hésitent cependant à prolonger le financement de laide alimentaire destinée aux plus pauvres. Cest pourtant une minuscule part dun énorme budget : 0,4% sur 1 000 milliards deuros ! Né en 1987, le Programme européen daide aux plus démunis prévoit que les excédents agricoles sous lesquels croule alors lEurope soient redistribués à celles et ceux qui en ont besoin. Depuis, les excédents se font rares. LEurope aligne donc du cash : des subventions versées aux associations au titre de laide alimentaire (500 millions deuros en 2012) et lachat direct de produits destinés à être redistribués (383 millions) sajoutent à la reprise dexcédents agricoles (177 millions).
Tous les États membres ne bénéficient pas de cette aide, qui passe par le budget de la Politique agricole commune (PAC). Certains pays, comme lAllemagne ou le Royaume-Uni refusent dy recourir. LAngleterre considère que lUnion européenne doit rester un grand marché et lAllemagne pense que lEurope ne doit pas simmiscer dans les politiques sociales, gérées par les Lands , précise Nadège Chambon, chercheuse à linstitut Notre Europe.
Austérité pour les plus démunis
Les principaux bénéficiaires sont lItalie (95 millions deuros en 2012), lEspagne (80 millions deuros), la Pologne (75 millions deuros), la France (70 millions deuros) et la Roumanie (60 millions deuros). Le montant de laide est calculé en fonction de la proportion de la population ayant un revenu inférieur à 60% du revenu médian national [1]. Cela a fait passer lEspagne en tête cette année , indique Nadège Chambon. En France, quatre associations gèrent cette aide : La Croix rouge, les banques alimentaires, le Secours populaire et les Restos du cur.
Mais cette aide nest pas du goût de tout le monde : plusieurs pays, dont lAllemagne, le Royaume-Uni et la Suède [2] considèrent que laide aux pauvres relève de laction de chaque État. Et refusent de payer. Début 2012, lAllemagne obtient la condamnation de laide alimentaire par la Cour de Justice européenne. Le dispositif actuel nexistera donc plus en 2014. Il pourrait être remplacé par un Fonds européen daide aux plus démunis moins bien doté [3]. Soit 350 millions par an, à partager entre 28 pays membres, contre 500 millions actuellement, détaille Gaëtan Lassale, de la Fédération française des banques alimentaires. Sachant que de nouvelles thématiques sajouteront à laide alimentaire : lachat de biens essentiels à destination des SDF et des enfants en situation de précarité notamment . Inquiètes, les associations se sont mobilisées pour que ce fonds voit bel et bien le jour.
Les pauvres, abonnés à la malbouffe ?
Il faudra donc aider mieux, et plus de familles, avec moins. Alors même que le nombre de personnes poussant les portes des soupes populaires ne cesse daugmenter. 3,5 millions de personnes ont bénéficié de cette aide en France lannée dernière, souligne Marianne Storogenko, de la Direction générale de la cohésion sociale, en charge du dossier. 8,5 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté et pourraient donc en bénéficier. En plus des familles monoparentales et des chômeurs, recourent aujourdhui à laide alimentaire les travailleurs pauvres, les étudiants et les personnes à la retraite.
Autre problème : la qualité de cette aide alimentaire. Les bénéficiaires de cette aide présentent souvent des troubles nutritionnels, pouvant induire des pathologies telles le diabète ou des problèmes cardiovasculaires, selon une étude menée par lInstitut de veille sanitaire [4]. Seule une personne sur dix mange les cinq fruits et légumes par jour recommandés par le Programme national nutrition santé. Suite à cet alarmant constat, les critères dachat de denrées pour laide alimentaire ont été revus. Dans les appels doffre lancés par les ministères, la qualité nutritionnelle compte pour 30% de la note, les tests gustatifs pour 40% et le prix pour 30%. Salimenter est un besoin fondamental, mais cest aussi une source de bonne ou de mauvaise santé, rappelle Marianne Storogenko. Et puis, recevoir des produits de qualité, cest nécessaire aussi pour lestime de soi. Si on vous offre quelque chose de bon, cest que vous êtes quelquun.
Des alternatives pour un bon repas
Ces appels doffre ne couvrent quun quart de laide alimentaire. Les 75% restants sont collectés auprès des particuliers à la sortie des supermarchés ou remis gracieusement par les enseignes de la grande distribution, qui écoulent ainsi des marchandises quelles ne peuvent pas vendre, pour des raisons dordre esthétique le plus souvent. Une autre partie des produits vient des partenariats passés entre des grandes entreprises et les associations. Dans la relation avec les donateurs, il faut parfois sarmer de courage pour leur dire : cest très gentil, mais nous ne prendrons pas la cinquième tonne de pains au chocolat parce que les gens ne mangent pas que des pains au chocolat. Il nous faudrait plutôt des haricots verts, poursuit Marianne Storogenko.
Des initiatives émergent pour améliorer le contenu de lassiette de personnes obligées de recourir à laide alimentaire. La Fédération des paniers de la mer (PLM), par exemple, travaille avec les criées, lors des retours de pêche, pour valoriser les poissons invendus, créer des emplois sur lactivité de mareyage lachat de poissons en gros et permettre de diversifier les apports en protéines. Il ne sagit pas seulement de remettre un produit aux gens, explique Hélènet Rochet, directrice de la fédération des PLM. Mais de leur donner envie de cuisiner, doffrir un bon repas à leur famille. A laide de fiches recettes, et à force de communication avec les bénévoles des associations, les paniers de la mer remettent au goût du jour le tacot, le congre, la roussette.
Les personnes pauvres ne sont pas condamnées à le rester, estime Hélène Rochet. Et quand leurs moyens le leur permettront, ces personnes pourront reprendre le chemin des poissonneries, et participer à la valorisation de produits quelles connaîtront déjà. La démarche emporte ladhésion des pêcheurs. Leur métier est rude. Et savoir que le fruit de leur travail nest pas perdu est très important pour eux.
Mieux que le discount, les épiceries solidaires
Un autre acteur a fait son entrée dans le monde de laide alimentaire : les épiceries sociales et solidaires (regroupées au sein de lassociation Andes). Elles proposent en libre-service des produits de consommation courante, contre une participation financière de 10 à 30% du prix normal. En 2011, 130 000 personnes se sont pressées dans les 240 épiceries solidaires que compte désormais le territoire français (voir la carte.). Pour lutter dignement contre la faim, il faut permettre aux gens de choisir , affirme Guillaume Bapst, fondateur des épiceries solidaires. Quand on vous donne un colis, on nie votre identité : ce que vous aimez, votre façon de cuisiner... Et quand on reçoit une seule ration, on ne peut pas inviter quelquun à partager son repas. »
Pour remédier au déficit de fruits et légumes, lAndes lance en 2008 le potager de Marianne à Rungis. Un chantier dinsertion dans lequel on trie les fruits et légumes invendus pour approvisionner les circuits de laide alimentaire. Des potagers qui essaiment à Perpignan, Marseille et Lille. En janvier dernier, une ferme maraîchère solidaire a ouvert ses portes en Basse-Normandie.
Des paysans dépendants de laide alimentaire
Il vaut mieux récupérer des produits alimentaires que de les jeter, rappelle Guillaume Bapst. Mais la lutte contre le gaspillage ne doit pas être la seule finalité de laide alimentaire. Sinon, on se contente de donner aux pauvres ce que lon a récupéré. Et on ne sintéresse pas à leurs besoins nutritionnels. Il faut laisser lapproche purement caritative pour remettre les gens à leur place de citoyen. Pour Marianne Storogenko, la fourchette est un excellent outil dinsertion. Il faut faire en sorte que ces personnes se sentent soutenues et pas assistées.
Jean-Claude Balbot, éleveur dans le Finistère, est plus radical : Lagro-industrie produit de la pauvreté. Même des paysans deviennent clients de laide alimentaire ! Ou ces employés des usines agro-alimentaires qui se retrouvent sans travail. Finalement, lagriculture na pas tenu ses promesses, à savoir nourrir le monde et donner du travail aux gens. Membre actif de la fédération nationale des Civam (Centres dinitiatives pour valoriser lagriculture et le milieu rural), Jean-Claude Balbot participe à un groupe de travail qui planche sur la question de laccès à lalimentation. Pour les Civam, il faut rapatrier laide alimentaire vers les territoires. Cela coûterait moins cher à la collectivité, que ces échanges de conteneurs, de boîtes et de produits transformés , estime Jean-Claude Balbot. Pensée à petite échelle, laide alimentaire pourrait passer par la création de potagers collectifs, par le troc, la révision de certains prix, voire du système productif tout entier.
Les exclus de la qualité
Assidu de la vente directe, et producteur bio, lagriculteur regrette le profil trop uniforme de sa clientèle, relativement aisée. Quand je vais livrer les gens, je sais toujours à quoi mattendre : le type de maison, de voiture, de journaux.... Cest sympa, mais cet enfermement, pour moi et dautres collègues, est le signe dun échec de nos modes de production. Nous tenons à garantir la qualité, mais nous excluons de fait une large partie de la population.
La solution ? En tant que producteur, il faut que je marrange pour produire quelque chose que tous les consommateurs peuvent acheter. Nous devons réfléchir au prix, très sérieusement. Est-il normal, par exemple, que les consommateurs paient une partie des emprunts que jai contracté pour minstaller ? Et quils participent ainsi à laccroissement dun capital qui nappartiendra quà moi. Pour savoir ce que les consommateurs sont en mesure de payer, il y a un vrai travail de connaissance et de reconnaissance à faire. Les échanges entre fermes et quartiers, quil pratique avec dautres collègues sont, à ce titre, très riches denseignements. Laide alimentaire que nous aimerions voir se développer doit sinscrire dans ces échanges citoyens, dans ce partage, ces discussions où lon réfléchit ensemble à laccès à lalimentation. Le ministre Stéphane le Foll, pour qui laccès à une alimentation de qualité est un élément décisif pour rester inséré dans la société , prêtera-t-il attention à ces expérimentations ?
Nolwenn Weiler
Photo de une : Alain Curie via Rue 89
Notes
[1] En France, le revenu médian se situe aux alentours de 1 600 euros (il varie de 1431 euros pour une personne seule à 3 700 euros pour un couple avec trois enfants) : la moitié de la population, en fonction du type de ménage, a des revenus inférieurs et lautre moitié dispose de revenus supérieurs.
[2] Ainsi que le Danemark, les Pays-Bas et la République tchèque.
[3] Léventuel Fonds européen daide aux plus démunis (FEAD) sélèverait à 2, 5 milliards deuros sur 7 ans.